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29 mars 2009

Venise ou Paris, De Banville ou Musset, la ville et la poésie, juste pour vous donner envie de connaître leurs poèmes

29 mars 2009

Nombres d’écrits célèbrent la beauté des villes, l’affaire est entendue. Nombre de poètes se sont penchés sur ces rassemblements d’architectures diverses qui leur ont inspiré des œuvres impérissables. Ce besoin d’écrire, de chanter la beauté, les caractères de la ville est différemment éprouvé par chacun des artistes. Devrait-on ne voir là que l’orgueilleuse célébration du génie humain qui, de l’animal qui s’est dressé sur ses pattes, est devenu un être évolué, capable d’ériger des monuments défiant le ciel et la gravité ? Ou devrait-on sourire devant ce même génie capable de prendre suffisamment de recul pour trouver du lyrisme au sein même des ouvrages qu’il a créés ? La ville inspire, parle aux poètes, éveille sa sensibilité au même titre que la nature. C’est sans doute dans le courant romantique que la ville a trouvé ses meilleurs admirateurs. Parmi eux, deux poètes de renom ont su se démarquer et offrir à la littérature française les plus beaux vers en hommage à une cité aimée.

            Figure de la bohème artistique, chef de file des jeunes poètes dont les Parnassiens, Théodore De Banville est un amoureux inconditionnel de Paris qui l’a vu grandir. Avec son poème La ville enchantée il rend un vibrant hommage à cette ville qui est, avec ses mots de poète, un « pays de soleil, d’or et de terre glaise ». La ville enchantée est un poème composé en alexandrin. Son introduction est pour le moins inattendue si l’on en juge par le vocabulaire employé par le poète : « Il est de par le monde une cité bizarre ». Dépassé cette première phase qui pourrait laisser supposer un malaise, le poète se ressaisit et donne la pleine mesure de son talent de romantique. Car Théodore De Banville était un parnassien romantique, pris dans le mouvement naturiste qui prédominait son époque. Prenons pour preuve toutes ces descriptions dont il a pris soin de parsemer son poème  dont les « …palais taillés dans les mélèzes verts ». Gagné par la fièvre romantique, Théodore De Banville donne, à travers ces quelques pieds des vers débordants de lyrisme, toute sa force émotionnelle.

            Le lyrisme est l’expansion de l’individualisme. Le poète est avant tout homme mais un homme sachant mettre en avant sa sensibilité, ses émotions en exploitant cet individualisme. L’ensemble du poème fait penser à un chaos. Chaos d’abord mais d’où sortira une organisation nouvelle. A travers moult détails, c’est un Paris pittoresque que le poète présente à nos yeux, en réveillant la sonorité et le rythme (notamment avec des sifflantes dans le premier et le troisième strophe : cité, Plutus, cigarette, souper puis essaim, cent fois, satin, rousses), condamnant la métaphore, accordant une place importante à l’image, qui n’est pas un procédé d’écriture mais une façon de sentir. Avec La ville enchantée Théodore De Banville s’est arrêté au vocabulaire, élargit, réintègre tous les éléments populaires que le goût classique avait exclus. Les images qu’il présente sont insolites, déconcertantes et c’est une balade à travers un Paris enchanté que le poète propose au lecteur. Les alexandrins, organisés en quatrains, accordent une harmonie sur la symétrie et s’opposent tout à fait au chaos d’images et de couleurs que De Banville semble jeter en vrac à travers toute l’œuvre.

            Une ville n’est vivante qu’habitée par des habitants et ces habitants, De Banville les a voulu sortis des mythologies, du passé, pour souligner davantage le côté enchanté de ce Paris que son imagination recrée. Plutus, Lazare, Cyrano, Cagliostro, la Belle au bois dormant, le chat Murr, la Chinoise, la reine Cléopâtre, Lauzun, Alcibiade, Richelieu, les Nymphes, autant de personnages hauts en couleurs qui représentent les monuments de Paris à travers les yeux rêveurs du poète. Les richesses, les ors (Plutus) côtoient le miracle de la résurrection (Lazare) auprès d’un personnage épique (Cyrano) et un représentant du roman historique français (Cagliostro et l’affaire du collier de la Reine) etc. Autant d’époques différentes pour souligner le Paris éternel.

            L’itinéraire est tout tracé pour une visite guidée de la capitale. De la gare du Nord et ses personnages, De Banville nous emmène jusqu’à la gare Saint Lazare, suivant un chemin habité d’étranges créatures, plus fantastiques les unes que les autres. Tous les personnages sont patiemment étudiés, pour faire jaillir tous les détails de leur individualité, de « La Chinoise rêveuse, assise dans la jonque » à « La reine Cléopâtre, en sa peine secrète ». Mais les personnages ne sont pas les seuls qui enrichissent ce poème. Le verbe sautillant, le vocabulaire chargé de couleurs sont autant d’éléments qui habillent ces vers de rêves. Le tortillage d’images à travers une souplesse étonnante dans la versification permet au romantisme de De Banville d’aboutir à la plus étincelante et stérile fantaisie. C’est un acrobate qui se révèle dans La ville enchantée, errant comme un funambule, dansant sur ses sens, ses émotions, les couleurs perçues. Tout naît de l’allure des mètres et du jeu des rimes que le poète jongle avec maestria. La ville prend des airs de monde fantasmagorique dans l’imagination du poète :

            «  Les centaures fougueux y portent des badines ;

                Et les dragons, au lieu de garder leur trésor,

                S’en vont sur le minuit, avec des balandines,

                Faire un maigre dîner dans une maison d’or ; »

            Tous ces personnages perçus dans un parc et transformés par l’imagination du poète nous éloigne d’un Paris que tous pensent connaître. Tous ces détails font de De Banville l’un des grands peintres de la littérature française, par la fine ou forte justesse des tons avec lesquels il fixe les plus mobiles, les plus étranges aspects de la ville. 

            Une autre ville éternelle, Venise, a jadis attiré l’attention d’un autre poète français, Alfred de Musset, qui lui a consacré des vers libres de toute convention stylistique, proche de la prose qui viendra, dès 1850, occuper toute la scène littéraire française.

            Poète des Nuits mais également des pièces de théâtre dont le Lorenzaccio, Musset se distingue totalement des Parnassiens, représentés entre autres par De Banville. Enfant prodigue puis adolescent brillant, il entre à l’Académie française à quarante-deux ans. Rongé par l’alcool, habité par des hallucinations, il décède à l’âge de quarante-sept ans après avoir offert à la littérature française les plus beaux poèmes du dix-neuvième siècle.

           Le choix d’un poème de Musset après celui de De Banville se justifie par la différence de leur genre d’écriture. De Banville est un Parnassien et La ville enchantée est avant tout un poème basé sur le naturisme tandis que Musset est un poète issu du théâtre romantique. Contrairement à La ville enchantée qui respecte les règles fondamentales des alexandrins, Venise est un poème à mi chemin entre la sextine et les vers à quatre pieds organisés en quatrains. Musset s’attache davantage à l’architecture de la ville qu’à ses habitants. Les palais antiques, les graves portiques, les blancs escaliers, les ponts, les rues, le palais du vieux doge, le Venise de Musset est avant tout un tableau que le poète a savamment mis en scène avec l’œil d’un homme de théâtre, créant une atmosphère palpable, exquise, de la plus pure essence imaginaire qui n’est pas autre chose que l’exacte représentation de ses divers états de sensibilité. Il nous offre une vision d’architecte, d’amoureux de la pierre, des formes, et fait participer tous les monuments à sa rêverie contemplative pour finalement ne plus se concentrer que sur l’objet de son cœur.

            Ainsi est la poésie de Musset : un instinct scénique qui déborde des cadres établis, une vision globale qui se resserre au fil des strophes, au fil des pieds, pour finalement se fixer sur la femme aimée. Et pour chanter son amour, sa passion, il fallait à ce poète hors norme un cadre grandiose, Venise, lieu de prédilection des amours éternelles.

            La Venise de Musset est un tableau enchanteur où tous les éléments s’unissent pour dessiner une scène attendrissante. Loin du peintre De Banville, le poète Musset dénombre, s’attarde sur le mouvement, l’œil collé derrière une caméra imaginaire :

            « Et les ponts, et les rues,

               Et les mornes statues,

               Et le golfe mouvant

               Qui tremble au vent »

            La palette de Musset est pleine de couleurs, apportées par les images choisies : Venise la rouge (passion), le pied d’airain (noblesse), les blancs escaliers (pureté), le masque noir (mystère), mais aussi par des allusions (la lune, le nuage, le muguet, la bouche de la femme aimée que l’on devine rouge). Quelques mots de passion profonde, quelques poussées de mélancolie simple et voilà le lecteur propulsé à travers une ville endormie. Point de présentation inutile car se peut-il qu’il existe de par le monde civilisé un homme qui ignore ce qu’est et que ce représente Venise ? Débarrassé de détails futiles, le poète se concentre sur l’objet de ses désirs, avec un usage original et charmant de la forme dramatique dont il a su s’entourer à travers les strophes décrivant les beautés de Venise. Musset a choisi Venise comme cadre pour abriter ses amours, soulignant davantage le symbolisme que cette cité représente aux yeux du monde entier. La rhétorique est sincère mais le verbe est court, haletant, comme la course de cet amoureux vers sa belle. Venise lui apparaît alors comme dans un rêve. Cité des doges ou cité des amoureux, la plume de Musset fait ressortir les propriétés éternelles et l’immuable essence de l’amour. Curieusement, la tragédie est absente. L’auteur des Nuits, l’auteur de « les plus désespérés sont les chants les plus beaux » aurait-il voulu préserver la douceur de Venise de toute forme brutale de la passion ?

           Si De Banville promène ses errances à travers sa ville enchantée sans autre but que celui de dérober la beauté des lieux à la nuit tombée, Musset poursuit sa course dans la nuit pour rejoindre sa belle. Deux poètes, deux courants littéraires différents mais une seule et même aspiration : célébrer la beauté de leur ville de prédilection avec des mots, leurs uniques richesses. Le talent littéraire est là et nous force à reconnaître le triomphe de la stylistique, finement ciselée, de ces deux poètes qui se rejoignent à travers leur rêverie profonde. La ville exulte de beauté à travers leurs mots, à travers les sonorités, les images évoquées, presque peintes. Qu’ils soient Parnassien ou simplement romantiques, le poète est sans doute, de tous les artistes, celui qui retranscrit le mieux la beauté de nos villes, et nous rappeler à la magnificence que le quotidien a fini par banaliser. Plus que des styles, n’est ce pas là, simplement, de l’Emotion ?

La ville enchantée de Théodore De Banville 

Venise d’Alfred de Musset

   

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